TOUT VA, ET DE TRAVERS
Une exposition de Benoît Géhanne & Jean-François Leroy

Du 19 octobre au 17 novembre 2013

Vernissage le vendredi 18 octobre 2013 à partir de 17h

Dans Le rêve, Diderot prête à d’Alembert cette évidence : « Naître, vivre et passer, c’est changer de
formes… » [1]. Exister c’est changer, continuellement. Selon des temporalités et avec une intensité
variables, mais il en va ainsi pour toute forme d’existence : tout va, se modifiant.

Rien ne demeure figé. C’est là l’enseignement que l’art a retenu une fois défait du mythe de l’idée platonicienne,
que la forme était selon son devenir. Non pas  xe mais en cours, juste un état, momentanée.
Voilà le fil conducteur qui relie les travaux de Benoît Géhanne et Jean-François Leroy, cet attachement
que tous deux montrent à trouver matière dans le temps et les procédés de formation de la forme
plutôt qu’à chercher à en arrêter une sous prétexte d’exactitude. C’est particulièrement lisible chez
l’un comme chez l’autre dans ces pièces jouant de la pesanteur. De Jean-François Leroy, l’Etagère à
bretelles : ces bandes de moquettes clouées haut au mur, qui se tendent sous le poids du bâti de bois
autour duquel elles viennent s’enrouler pour le retenir, et dont une longueur devenue inutile finit par
pendre mollement. De Benoît Géhanne, Nordmann : ce lé de papier imprimé  ottant qui vient plisser,
contraint dans sa partie basse par une planche de champ contre le mur qui le relève assez pour que
la fronce déborde sur le point d’étai. Ici, la mise en oeuvre indexe le jeu des forces exercées. La forme
dit un instantané, ce point d’équilibre grâce auquel elle a été faite, au delà ou en deçà duquel elle sera
inévitablement défaite.

Tout varie, les états se succèdent sans cesse. C’est ce que Jean-François Leroy et Benoît Géhanne cherchent
paradoxalement à saisir dans ces formes juste provisoirement stabilisées. Chez Diderot, d’Alembert
poursuit : « Et qu’importe une forme ou une autre ? Chaque forme a le bonheur et le malheur qui lui est
propre. »[1] Tout va, et de travers. Mais puisque l’oeuvre ne tire plus sa légitimité de l’idée d’une vérité
intrinsèque de la forme, ce n’est pas un défaut. Davantage une méthode retenue simultanément par
les deux artistes pour éviter de verser dans le formel – ce que Bailly décrit comme le registre de l’installation
normative, et tout ce qui confond la loi avec l’arrêté [2]. C’est là l’enjeu de cette exposition de
Benoît Géhanne et Jean-François Leroy aux Salaisons, second volet d’un travail d’accrochage commun :
retrouver la forme débarrassée de la formalité.

Marion Delage de Luget

[1] Denis Diderot, Le rêve de d’Alembert, Paris, Gallimard, 2008, p. 25.
[2] Jean-Christophe Bailly, Sur la forme, Paris, Manuella éditions, 2013.